Patatinator
Genre : Féminin Messages : 423 Date d'inscription : 10/09/2009 Age : 32 Localisation : Ville de Québec
| Sujet: [Nouvelle Littéraire] Limbes terrestres Mar 27 Avr - 13:33 | |
| Considérant que ma "plus grande oeuvre" est mon projet d'intégration, j'espère que vous serez indulgents lorsque vous verrez des fautes. J'SUIS CONSCIENTE QUE JE FAIS DE SALES ERREURS DE SYNTAXE! Et elle est quand même assez longue, voici la première partie - Spoiler:
Je suis mère. J’ai un fils. Ce sont les seules affirmations que je puisse faire sans la moindre hésitation. J’ai un fils dont l’humanité ne dépend que de ma décision en tant que mère. Autre affirmation. Cette dernière me fait terriblement peur. Je ne suis aucunement justice transcendante ou Dieu. J’ai la chienne; je suis mère.
Il y a de ces matins où on pense être dans un équilibre idéal et que rien ne peut nous déloger de cet état… sauf peut-être un cri perçant à moins de deux mètres d’où on se situe.
- MAMAN! Réveille-toi! J’dois aller à l’école!
Je regarde le cadran. Des caractères rouges indiquent 6h23. Je n’arriverai jamais à comprendre comment mon fils fait pour se réveiller avant la sonnerie. Les jours se font plus cruels que je ne le pensais et les enfants plus énergiques. Pour une fois qu’une journée de congé bien méritée se présentait à moi, cela ne change en rien la routine s’il y a un enfant à conduire à son école… et ce, avant l’heure de pointe. Alors que le café s’avale, le reste de la journée aussi. Les heures de repos et les livres grugent la majeure partie du jour : il est bon de passer un lundi à se prélasser dans la salle de séjour, à boire du thé et à écouter de la musique. Lorsque je suis seule, tant et aussi longtemps qu’il y a le calme sans le silence, la journée se déroule assez rapidement. Le soleil réchauffe la pièce par la fenêtre, le climatiseur hésite à fonctionner, les nouvelles du jour ne cessent de se répéter à chaque tranche de deux heures… tout pour éviter de se rappeler de l’absence.
15h04, l’heure de ramener le fils à la maison et d’attendre jusqu’à quel point le dudit fils a pu performer dans ses leçons. À son âge, il devrait du moins être capable de bien performer en mathématiques et de comprendre davantage les propriétés des additions et des soustractions. Avoir huit ans et étudier dans une école primaire, ce n’est plus d’essayer de compter sur ses doigts, mais de calculer rapidement mentalement et d’avoir une attention plus sélective. Il y a croissance rapide de nouvelles synapses dans son cerveau et myélinisation du lobe frontal : notion basique en neurologie, notion fondamentale de la vie. À son âge, apprendre est cruciale et je ne peux qu’être heureuse s’il réussit bien ses leçons.
À l’heure où je me lève habituellement, mon fils dort toujours sur ses deux oreilles jusqu’à ce que je lise mes journaux sur mon écran lecteur - la ville a depuis longtemps banni le papier journal pour encourager la préservation du peu de la forêt boréale restante. Il fera 20°c, température idéale pour un jour d’avril et les nuages couvriront Montréal en après-midi. Ce ne sont pas les 25°c qu’on a eu l’an passé, mais ça me donnera du moins l’illusion que la planète se réchauffe un peu plus lentement. La Chine traverse une période d’accalmie dans les arrestations d’étudiants en grève. Aux États-Unis, des extrémistes chrétiens viennent encore de faire exploser des wagons du métro à San Francisco. Jean-Paul III a finalement permis la distribution des condoms par les prêtres pour sauver des vies. Rien que des bonnes nouvelles finalement pour un 10 avril 2034.
7h45. Mon café vient de déborder de ma tasse en acier inoxydable et d’atterrir sur mon soulier droit.
« Attention, une porte de train bloquée cause un ralentissement de service sur la ligne verte. Attention… » - Mais c’est qui l’osti d’imbécile qui fait ça? crie un jeune homme tout au fond du wagon.
Rage matinale. Les gens ne veulent jamais être en retard… Qu’est-ce qu’une journée de travail sans la routine? Trente ans plus tôt, les ralentissements de services, les pannes d’électricité et les suicides se faisaient courants sur la ligne verte. Le système public déraillait, le public lui-même déraillait. Plus tard, on n’aura jamais compris pourquoi les investissements du gouvernement allaient ailleurs que dans le transport en commun. Au moins, l’aération s’est améliorée sous terre avec les générateurs d’oxygène dissimulés derrière les murs décoratifs depuis quelques années et les freins des têtes de train sont plus silencieux. Dans le système de transport en commun, le silence est devenu une règle d’or à respecter. Mis à part le doux chuintement pour indiquer la fermeture des portes d’aluminium, seules les conversations maintiennent un niveau de décibels suffisamment élevés pour ne pas se rendre fou avec l’automatisme vide. Cependant, le matin, personne ne se soucie d’être vivant ni de poser une question anodine pour les directions, on se contente de « faire notre job » et de gagner notre pain quotidien. Quêter dans les wagons devient presque un crime entre six heures et neuf heures et demie.
La tasse de café est déposée sur le coin d’un bureau, les fenêtres sont aussi claires que le plexiglas puisse le permettre, le nombre de dossiers-écrans s’empilent de plus en plus au fil des heures. Après m’être confortablement installée sur ma chaise, je reçois un appel, mon fils vient d’être percuté par un véhicule et a subi de graves dommages à l’encéphale. Apparemment, Thomas est à l’hôpital Sainte-Justine depuis quelques dizaines de minutes, je ne sais plus. On me raconte, on me raconte tant… Mon monde vient de basculer en moins de dix secondes. S’il fallait qu’on décrive l’état dans lequel je suis, il n’y aurait que quelques mots : confusion, colère, impuissance… et sûrement d’autres dont je n’arrive pas à trouver les syllabes exactes pour les prononcer. Ma bouche me semble soudainement lourde, pâteuse et inutile. On m’a accordé une pause entre deux mots, deux instants dans une recherche.
La culpabilité s’empare de moi. Il y a des instants où il faut être une mère avant d’être une professionnelle : j’ai pleuré… tout mon saoul. On pourrait dire que je suis propulsée dans une situation extraordinaire. Le fils a une lésion cérébrale, je pratique la neurologie depuis des années, il est à quelques kilomètres de moi… et pourtant, je ne peux rien faire pour lui. Il est déjà 13h20 passé.
Désespoir. État proche de la folie. Je dois pourtant continuer à travailler avec quelques patients.
Et si mon fils restait à jamais esclave de cette blessure? Je dois absolument le voir. Il y a ce besoin viscéral de le voir peu importe l’état dans lequel il me recevra. Il sera probablement inconscient. Au bout de quelques minutes, j’arrive à la réception. On me dit que personne ne peut le voir pour l’instant. Mais bonté divine! Je suis sa propre mère et je pourrais du moins savoir ce qui se passe avec son cerveau! Je pourrais au moins contacter les neurologues qui travaillent ici, voire des infirmiers! Malgré ma crise, on ne me le laisse toujours pas le voir, sous peine de troubler la stabilité de son état physique.
Je me sens encombrée d’émotions.
Je suis rentrée à la maison vers 20h45. La vie circule toujours mais l’atmosphère de mon propre chez-moi a changé. J’hésite encore à affirmer que la « vie existe toujours ». Dans mon cinq et demi, encore hier, il y avait de la vie. Entre deux ou trois cuillerées de soupe et trois bouchées de riz, Thomas avait trouvé le moyen de me faire sourire avec curiosité en me racontant ses multiples aventures à l’école. Rien qu’en y pensant, je me sens déjà amorphe. Les accidents arrivent… et les traumatismes cérébraux arrivent tout autant à la suite de ces accidents. La vie est une chienne… encore pire, elle a toujours produit des bâtards. Boule à l’estomac. Je file à la toilette, je vomis mes émotions. Pire encore, je vomis mon sang-froid. Quelques rires s’échappent de ma gorge, la situation me paraît drôle et trop étrange : mon fils est lésé au cerveau et je suis une neurologue. Ça aurait pu être pire, ça aurait pu être mieux.
Je dors et je me lève, 6h04. Je dois travailler. Une collègue m’attend déjà pour quelques analyses
J’ai reçu un appel de je-ne-sais-quel département. La confusion est toujours telle que j’hésitais à comprendre ce qu’on vient de me proposer. Mes mains m’encombrent, mes jambes aussi : j’aurais voulu faire autre chose que rester planter devant un homme que je connais à peine et qui me parle du nouveau prototype d’implant que l’hôpital a conçu en partenariat avec la Polytechnique. Autant dire que je ne m’y connais que sommairement et que je n’ai aucune envie de me mettre dans un bain de charabia technique pour comprendre comment fonctionne cet implant neuronal.
Il fallait lui installer des implants neuronaux pour qu’il puisse vivre normalement. Loin de là l’idée qu’il soit paraplégique pour le restant de son existence – quoiqu’il n’ait pas été touché à la moelle épinière – qu’il ne puisse être maître de ses mouvements. J’avoue toutefois que je n’ai aucune hésitation face à l’amélioration des facultés motrices de mon fils à la suite de son accident pour qu’il puisse vivre normalement. Mais si le gouvernement finance le projet, dans quel but l’a-t-il fait? Dois-je me consoler en me disant que sa cognition n’est aucunement touchée?
Raclant sa gorge, l’homme semble soudainement s’apercevoir que je ne l’écoute qu’à moitié :
- Vous avez jusqu’à la semaine prochaine pour prendre une décision. Mercredi, le 18 avril, à huit heures du matin. Retenez-bien cela. Passé cette échéance, nous considérerons votre silence comme un refus.
J’ai un fils. Je suis mère. Ce sont les seules affirmations que je puisse faire sans la moindre hésitation. J’ai un fils dont l’humanité ne dépend que de ma décision de mère. Autre affirmation. Elle me fait terriblement peur. Je ne suis aucunement la justice transcendante ou Dieu. J’ai la chienne; j’ai un fils. Dilemme.
Critique? Injure? Ébahissement? Insulte? Vous avez la carte libre, je vise à être écrivaine (lorsque j'aurai 37 ans) | |
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